- BOSNIE - 1995, un espoir de paix
- BOSNIE - 1995, un espoir de paixBosnie: 1995, un espoir de paixAprès trois ans et demi de guerre, plus de 200 000 morts et près de 2,7 millions de réfugiés, la diplomatie américaine a réussi à imposer une paix qui s’apparente plutôt à une trêve. Cette paix fragile n’a été possible qu’après un changement des rapports de forces sur le terrain, mais aussi parce que les États-Unis se sont ralliés à l’idée d’une partition de la Bosnie. En effet, si, d’après les accords de Dayton, le pays reste indivis, il est en réalité composé de deux entités distinctes: la Fédération croato-bosniaque, qui contrôle 51 p. 100 du territoire, et les Bosno-Serbes, qui en contrôlent 49 p. 100, Sarajevo en étant l’unique capitale. Pour faire appliquer ce plan, 63 000 soldats sous commandement de l’O.T.A.N. sont dispersés dans trois zones pour une période de douze mois. Ratifiés à Paris le 14 décembre 1995, ces accords de paix laissent en suspens nombre de problèmes potentiellement dangereux. La Fédération croato-bosniaque étant confédérée à la république de Croatie, les Musulmans bosniaques ont une marge de manœuvre restreinte. Les milices ne sont pas désarmées. Par ailleurs, le tracé en dentelle des frontières ne facilite pas le redémarrage de l’économie. Enfin, les banlieues serbes de Sarajevo refusent de passer sous contrôle gouvernemental bosniaque.La réalité bosniaqueDurant la Seconde Guerre mondiale, la Bosnie a déjà été le théâtre de violents combats. C’est à Jajce, au cœur des montagnes bosniaques, que Tito proclama la “nouvelle Yougoslavie”, le 30 novembre 1943. À la Libération, la Bosnie devient une république à part entière au sein de la Fédération yougoslave. Dans la nouvelle Constitution yougoslave de 1974, les Slaves musulmans deviennent des Musulmans, peuple constitutif de la Bosnie au même titre que les Serbes et les Croates. La Bosnie est alors la vitrine titiste de la coexistence interethnique.Au dernier recensement, en 1991, la Bosnie est composée de 43,7 p. 100 de Musulmans, de 31,3 p. 100 de Serbes, de 17,3 p. 100 de Croates et seulement de 7,7 p. 100 de Yougoslaves et divers. Les Musulmans et les “mixtes” sont installés dans les villes. Lorsque la guerre commencera, les ruraux serbes se tourneront contre les citadins “riches et cosmopolites”. Bref, la greffe yougoslave n’a pas eu le temps de prendre. C’est ainsi que le komsiluk (tradition ottomane de bon voisinage entre les différentes communautés) est passé d’un voisinage de mitoyenneté à un crime intime; en clair, les différentes communautés vivaient l’une à côté de l’autre sans se mélanger réellement. C’est donc entre villages voisins, voire entre quartiers voisins, que les anciennes connaissances se sont massacrées avec une telle barbarie.Un an et demi avant le début de la guerre, les électeurs bosniaques étaient déjà divisés sur une base ethnique. Le 20 décembre 1990, Alija Izetbegovi が devient le premier président non communiste d’une des républiques yougoslaves. Dix mois plus tard, les députés musulmans et croates proclament la souveraineté de la Bosnie. La rupture est consommée.Une tragédie à grande échelleLa guerre commence à Sarajevo le 2 mars 1992. Un mois plus tard, Radovan Karadzi が et le général Ratko Mladi が annoncent la création d’une “république serbe de Bosnie” avec Pale pour “capitale”. L’ensemble de la Bosnie est alors à feu et à sang. Les milices bosno-serbes, soutenues par leurs homologues nationalistes de Serbie (les Aigles blancs de Vojislav Seselj et les Tigres de Zeljko Raznjatovi が, alias Arkan) et la J.N.A. (Armée nationale yougoslave), volent de victoire en victoire. En mai 1992, les autorités bosno-serbes occupent 40 p. 100 de la Bosnie, 65 p. 100 en juillet 1993 et 70 p. 100 en novembre 1994. Ces victoires vont de pair avec l’ouverture de camps d’extermination, la “purification ethnique”, les massacres de civils et les viols systématiques. Les premiers casques bleus qui débarquent à Sarajevo en juin 1992 sont impuissants devant l’ampleur du conflit et deviennent la cible des extrémistes des trois bords sans que l’O.N.U. et l’Union européenne soient capables de réagir efficacement, divisées qu’elles sont dans leur approche du conflit.Devant l’offensive serbe, le front croato-musulman explose. En juillet 1992, Mate Boban, le leader des Croato-Bosniaques, fonde sa propre armée, le H.V.O. (Conseil croate de défense), et proclame l’autonomie de l’Herzeg-Bosna, la région méridionale de la Bosnie où les Croates sont majoritaires, puis son indépendance en août 1993.En décembre 1993, l’armée bosniaque, aidée par quelques milliers de volontaires musulmans venus d’Afghanistan, du Pakistan, d’Iran, d’Égypte et d’Algérie, ne contrôle plus que 10 p. 100 du pays. Elle se bat contre l’armée croato-bosniaque du H.V.O. à Mostar (capitale de l’Herzeg-Bosna), Vitez et Travnik, contre les Bosno-Serbes à Sarajevo, Gora face="EU Caron" ゼde, Zepa, Srebrenica (cette dernière est sauvée momentanément en mars 1993 par le général Morillon) et contre les sécessionnistes musulmans de Fikret Abdi が dans la poche de Biha が. Ce dernier est l’ancien dirigeant du complexe agroalimentaire Agrokomerc, qui fut au centre d’un scandale en 1987 pour nombre de malversations économiques. Concurrent malheureux d’Alija Izetbegovi が en 1990-1991, il s’est replié sur son fief de Biha が et, grâce à ses amitiés politico-mafieuses, a su traiter avec ses voisins serbes et croates contre d’importants bakchichs pour avoir l’autorisation de diriger son fief enclavé.Échec de la diplomatie onusienneLe 2 janvier 1993, l’O.N.U. présente le plan Vance-Owen aux belligérants. La Bosnie est divisée en dix provinces, trois par ethnie, plus Sarajevo, qui doit être administrée en commun. Croates et Musulmans acceptent ce plan, mais les Serbes le refusent. Le plan Vance-Owen est donc abandonné. Le 18 mai 1993, les Bosno-Serbes proposent la division du pays en trois républiques. En juin, les leaders serbes, croates, bosno-serbes et bosno-croates se rallient à cette forme de partage, mais les Musulmans – reconnus internationalement – s’y opposent. Le 29 juillet, l’O.N.U. propose le plan Owen-Stoltenberg. La Bosnie deviendrait une union de trois républiques, sans armée et avec une présidence tournante. Les Serbes devaient recevoir 52 p. 100 du territoire, les Musulmans 30 p. 100 et les Croates 18 p. 100. Un mois plus tard, les Bosno-Serbes acceptent ce nouveau plan, suivis par les Bosno-Croates. Une fois de plus, les Musulmans refusent le plan, car, d’après eux, il entérine le fait accompli des conquêtes serbes et du nettoyage ethnique. Ce nouveau plan onusien est donc voué à l’échec, d’autant que, le 27 septembre 1993, la poche de Biha が proclame son autonomie et son désir de faire la paix immédiatement avec les Serbes. À la fin de 1993, les combats redoublent entre l’armée bosniaque, les sécessionnistes de Fikret Abdi が d’un côté et le H.V.O. de l’autre. Ce dernier se livre à des atrocités semblables à celles qu’ont perpétrées les milices serbes. Ainsi, après plus d’un an et demi de luttes, l’O.N.U. et l’Union européenne ne peuvent que constater leur échec. Les États-Unis vont alors s’impliquer, d’abord en sous-main, puis directement.Le président Clinton, fort de ses succès diplomatiques au Moyen-Orient, a besoin d’autres réussites pour faire pièce à l’opposition républicaine au Congrès et pour préparer la pré-campagne électorale. C’est aussi un moyen de prouver à l’opinion publique internationale que les États-Unis restent les gendarmes du monde, se substituant à l’O.N.U. dans certaines de ses missions. En outre, cette intervention ridiculise l’ennemi économique que représente l’Union européenne. En se présentant comme le sauveur des Musulmans assiégés, Washington envoie un signal aux pays musulmans modérés. Mais, avant d’intervenir dans le centre des Balkans, Washington a pris soin de verrouiller le cône sud de la péninsule. Des bases militaires américaines sont implantées en Grèce et en Turquie, trois cents casques bleus américains contrôlent la frontière macédono-serbe, et des milliers de conseillers civils et militaires sont présents en Albanie, en Macédoine et en Bulgarie.Vers une “pax americana”Au début de 1994, les États-Unis commencent par faire pression sur Zagreb. Le président de l’Herzeg-Bosna, Mate Boban, artisan de la guerre croato-musulmane, est remplacé le 17 février 1994 par le modéré Kresimir Zubak. Deux semaines plus tard, les représentants de Sarajevo, Mostar et Zagreb signent à Washington un accord-cadre prévoyant la création d’une Fédération croato-musulmane en Bosnie et devant se confédérer à la Croatie. Cet accord est entériné le 13 mars à Vienne et approuvé par les présidents Tudjman et Izetbegovi が à Washington le 18.Après avoir soutenu pendant près de trois ans l’intégrité de la Bosnie, les autorités américaines se rangent à l’idée de partition. Mais, cette fois, il ne s’agit plus de dix provinces ou de trois républiques, mais de deux entités. Pour faire “avaler cette pilule”, les Américains font parvenir discrètement armes et conseillers aux Croates et aux Musulmans. Le président serbe, Slobodan Miloševi が, sentant s’ébaucher un changement des rapports de forces, lâche les Serbes de la Krajina croate et rompt officiellement ses relations avec les Bosno-Serbes en août 1994. Conseillé par sa femme, Mirjana Markovi が, qui déteste les hommes de Pale, il préfère être le maître incontesté d’une relativement grande Serbie reconnue internationalement plutôt qu’un des adeptes de la “Serbie totale” mise au ban des nations.Le 6 mars 1995, Zagreb et Sarajevo signent une alliance militaire. La fragile trêve militaire avec les Bosno-Serbes, vieille de plus de six mois, va alors voler en éclats. À la fin du mois, le 5e corps de l’armée bosniaque, commandé par le général Atif Dudakovi が, attaque les sécessionnistes de Biha が et les Serbes de Bosnie centrale. Cette offensive prématurée est rapidement stoppée par l’artillerie bosno-serbe, qui pilonne Biha が, Sarajevo, Tuzla et Gora face="EU Caron" ゼde. Cette attaque ratée a permis aux forces croates d’évaluer les capacités défensives de l’armée serbe. Comme toutes les armées conçues sur le modèle soviétique, celle-ci est lourde et relativement lente. Zagreb, conseillée par les Américains, va donc miser sur la guerre éclair. Entre le 1er et le 3 mai, l’armée croate reprend la Slavonie occidentale, occupée depuis 1991, rouvrant la voie entre Zagreb et l’est du pays. Les Serbes de la Krajina envoient quelques missiles contre Zagreb, et ceux de Pale bombardent violemment Sarajevo. Cette action va entraîner la riposte de l’O.N.U. et de l’O.T.A.N. qui lancent des frappes aériennes les 25 et 26 mai. Se sentant encore suffisamment fort, Ratko Mladi が, avec son armée, prend en otage des casques bleus sur les sites bombardés. L’O.N.U. rétorque en créant la F.R.R. (Force de réaction rapide) le 3 juin. Cette dernière mettra près de deux mois à être réellement opérationnelle sur le terrain. L’armée bosniaque, comme si elle servait de poisson-pilote à une plus large offensive militaire croate et diplomatique américaine, tente sans succès de désenclaver Sarajevo. Les milices de Pale résistent et écrasent les enclaves de Srebrenica et Zepa, massacrant nombre de civils. Profitant du déplacement des forces serbes vers l’est de la Bosnie, la Croatie attaque à l’ouest. Son armée pénètre en Bosnie occidentale. Aidée par le H.V.O. et le 5e corps de l’armée bosniaque, elle remonte vers le nord le 28 juillet pour désenclaver la poche de Biha が et encercler les Serbes de la Krajina. Le 4 août, l’offensive croato-bosniaque est générale. Le blocus de Biha が, assiégée depuis mille deux cent un jours, est brisé. En trois jours, la Krajina, abandonnée par Belgrade, est reprise dans son ensemble. Deux cent mille civils serbes de la Krajina, installés dans cette région depuis le Moyen Âge, affluent en Bosnie, où les milices bosno-serbes terminent leur nettoyage ethnique pour reloger les réfugiés. Ces derniers refusent d’être installés au Kosovo, peuplé à 90 p. 100 d’Albanais. Quant à Belgrade, elle souhaite sauver ce qui lui paraît essentiel, abandonner les régions trop excentrées et apparaître comme un élément modérateur aux yeux des Occidentaux.Résolus à partager la Bosnie, les diplomates américains proposent d’échanger l’enclave de Gora face="EU Caron" ゼde contre des banlieues de Sarajevo. Le 13 août, le président bosniaque rejette catégoriquement cette idée. Le 28, les Bosno-Serbes bombardent le marché de Sarajevo, tuant trente-sept personnes. Aussitôt l’O.T.A.N. et la F.R.R. reprennent leurs frappes sur les positions bosno-serbes. C’est durant les frappes aériennes qu’un Mirage 2000 français est abattu par un missile sol-air bosno-serbe. Les deux pilotes français sont capturés et torturés. Ils ne seront libérés que le 12 décembre, après de fortes pressions de Paris sur Belgrade. Les Croato-Musulmans en profitent pour pousser leur avantage en Bosnie occidentale et centrale. Ainsi, le 18 septembre, ils occupent 50 p. 100 du pays, contre 30 p. 100 deux mois plus tôt. Les Américains ont donc obtenu sur le terrain en deux mois ce que les diplomates occidentaux n’avaient pu obtenir en trois ans. Battus militairement, les dirigeants bosno-serbes s’en remettent à Belgrade. Le 30 août, Radovan Karadzi が demande à Slobodan Miloševi が de négocier en son nom et, après bien des réticences, le général Mladi が retire ses armes lourdes à 20 kilomètres autour de Sarajevo. En revanche, à partir du 15 septembre, de nouveaux accrochages se produisent entre Musulmans et Croates, car, lorsque ces derniers libèrent une ville, ils ne permettent pas aux réfugiés musulmans de rentrer chez eux et installent une administration purement croate.Finalement, le 8 septembre, les ministres des Affaires étrangères de la nouvelle Yougoslavie, de Croatie et de Bosnie (Milan Milutinovi が, Mate Grani が, Muhamed Sacirbey) signent un accord de principe à Genève. Si l’intégrité du pays est réaffirmée, il demeure néanmoins deux entités distinctes. La Fédération croato-musulmane reçoit 51 p. 100 du territoire, les Bosno-Serbes 49 p. 100. Chacune de ces deux entités a “le droit d’établir des relations avec ses voisins”. Ce pré-accord de Genève est officialisé à New York le 26 septembre. Comme à toute veille de trêve, les combattants tentent d’obtenir quelques derniers gains. Les Serbes récupèrent Bosanska Krupa le 29 septembre. À la mi-octobre, le cessez-le-feu est effectif sur toutes les lignes de front.Au début de novembre, les Américains réunissent les trois présidents sur la base militaire de Dayton, dans l’Ohio. Après trois semaines d’âpres négociations et marchandages, ils signent un plan de paix le 21 novembre, qui sera ratifié à Paris le 14 décembre. Ce plan reprend les accords de Genève et de Dayton et précise la ligne de partage des deux entités. Les Serbes rétrocèdent les banlieues de Sarajevo et un corridor désenclavant Gora face="EU Caron" ゼde. En échange, les Bosniaques rendent la région de Mrkonji が Grad et Sipovo au sud de Banja Luka. Enfin, il clarifie la mise en place d’une protection militaire internationale. Les casques bleus de la Forpronu se transforment en soldats de l’Ifor (Implementation Force) sous commandement de l’amiral américain Leighton Smith, chef de l’O.T.A.N. pour l’Europe du Sud. Il s’agit de 63 000 hommes, dont 20 000 Américains, 13 000 Britanniques, 7 500 Français et 1 500 Russes, répartis dans trois zones pour une durée d’un an.Même si la paix revient, de nombreux problèmes ne sont toujours pas réglés. Les banlieues serbes de Sarajevo ne veulent pas passer sous contrôle musulman le 20 mars 1996, comme le prévoient les accords de Paris. Les Croates monopolisent le pouvoir au sein de la Fédération croato-musulmane. Depuis le 29 octobre, ils disposent même de douze sièges au sein du Parlement de Zagreb. En effet, à l’occasion des élections législatives anticipées croates, Franjo Tudjman a amendé au dernier moment la Constitution: les treize sièges réservés à la minorité serbe sont ramenés à trois, et douze nouveaux sièges sont ouverts aux Bosno-Croates. Enfin, le retour de tous les réfugiés paraît bien improbable. Ils sont plus d’un million en Bosnie même, près de 700 000 dans les autres républiques de l’ex-Yougoslavie et autant en Europe occidentale. Pour les Musulmans, qui paraissent les vrais vaincus de cette pax americana , il s’agit plutôt d’une trêve leur permettant de se réarmer pour reprendre un jour le combat contre les Serbes et/ou les Croates.
Encyclopédie Universelle. 2012.